La
vie culturelle de la Pologne conquise fut traitée avec une
brutalité particulière par les occupants, autant les Allemands
que les Soviétiques. Ils essayèrent de la paralyser, étouffer
ses riches ressources, détruire l’élite intellectuelle avec sa
conscience nationale et sa capacité de résistance. Le symbole de
la terreur allemande vis à vis du milieu scientifique polonais
fut « Sonderaktion Krakau » - ( « Action Spéciale Cracovie » ),
du 8 novembre 1939. Les Soviétiques réalisaient aussi leurs
versions d’ « intelligenzaktion » (« action intelligentsia »).
En riposte, naquit une autodéfense culturelle. Parallèlement à
la conspiration militaire et politique, une « lutte » pour le
patrimoine culturel fut engagée.
Bien
que le mécénat ne fût pas une priorité parmi les activités de
l’État Polonais Clandestin entre 1939-1945, le soutien aux
beaux-arts, à la littérature et à la science fut à l’ordre du
jour de manière organisée autant que spontanée. Dans les
conditions de temps de guerre, le mécénat signifiait en premier
lieu, une aide matérielle de tout genre aux scientifiques,
écrivains, artistes et à leurs familles. Une forme particulière
de mécénat furent les mesures qui facilitaient la continuation
des travaux scientifiques, littéraires et artistiques. Il
convient d’y ajouter des tentatives de sauvegarde des œuvres
d’art, des collections d’état et privées (musées, bibliothèques,
archives – ex : œuvres de Jan Matejko) devant le pillage et la
destruction.
Dès
le début, l’État Polonais Clandestin en qualité de continuateur
de l’existence de la République de Pologne, étendit son mécénat
sur les milieux culturels, scientifiques et artistiques en
organisant des actions de protection appropriées. Elles furent
réalisées par de différentes cellules de la Délégation de
Gouvernement pour l’Intérieur. Le Département de la culture et
des Beaux-Arts joua un rôle exceptionnel en prenant en charge
les : littérature, théâtre, bibliothèques, archives, monuments,
musées, arts plastiques. L’équipe responsable de la littérature
et du théâtre exécutait efficacement le mécénat du Gouvernement
Clandestin. Jaroslaw Iwaszkiewicz dirigeait la distribution des
moyens financiers parmi les écrivains. Un exemple particulier de
mécénat fut la subvention allouée par la Délégation du
Gouvernement aux publications clandestines des œuvres de W.
Churchill, A. Fiedler, J. Kisielewski et du premier livre
d’alphabet pour écoles primaires, tiré à 10 000 exemplaires.
Aussi,
le Département du Travail et de l’Assistance Publique
cumulait-il des moyens pour assurer cette forme d’assistance et
de mécénat aux hommes de science et aux artistes. En automne
1944, le Département de l’Assistance Publique de la Délégation
pour la Région de Cracovie initiait une aide aux scientifiques
de Varsovie ; dans le cadre de « l’action varsovienne » une aide
fut accordée à 132 familles de la capitale. Le Département de
l’Assistance Publique de la Délégation Régionale de Wilno –
dirigé par l’abbé Aleksander Lachowicz (« Leszczyna » -
Noisetier) – mérite d’être cité pour son aide constante à des
nombreux représentants du monde culturel et artistique. Le
Département de la Liquidation des Conséquences de la Guerre
manifestait des initiatives dans l’action de mécénat. Il
recensait et préparait des documentations des pertes dans le
domaine du patrimoine culturel. Le premier compte-rendu faisant
état de la destruction et du pillage des biens culturels
polonais fut transmis au Gouvernement de la République de
Pologne en France en 1940. Le Département de l’Intérieur
intervenait dans la conduite des actions de protection du
patrimoine culturel, préparait des actions de mécénat et
d’assistance aux artistes et hommes de science.
L’Église
catholique joua un rôle considérable dans l’action de mécénat. À
côte de l’aide octroyée à de larges couches de la société (y
compris les Juifs) elle attachait une attention particulière à
l’assistance aux hommes de science et aux artistes. Le mérite de
l’archevêque Adam Sapiecha fut considérable dans ce domaine.
L’une des formes de mécénat fut l’emploi des artistes dans des
travaux de restauration de l’art sacral. Des organisations
catholiques (en règle générale, interdites par les occupants)
comme « Union Caritas », Confrérie Mariale, Association
d’Étudiants « Odrodzenie » (Renaissance), Action Catholique,
menaient également des actions d’assistance. Les Franciscains de
Cracovie conservèrent en cachette les vitraux de Stefan
Wyspianski et de Jozef Mehoffer. L’aristocratie et la noblesse
terrienne accomplissaient aussi des actions d’assistance. De
nombreux châteaux et manoirs devinrent des refuges de savants et
d’artistes. Des aristocrates et des maîtres de domaine offraient
à leurs « locataires » le gîte et le couvert, assurant de la
sorte leurs conditions de travail scientifique et artistique.
Comme exemple d’un tel mécénat furent les exploits de Janusz
Radziwil de Nieborow.
Une
activité de mécénat de grande envergure n’aurait pu être menée
que par des institutions caritatives légales – tolérées par les
occupants – comme, avant toute autre, le Conseil Général de
Protection (Rada Glowna Opiekuncza – RGO). En dehors de l’aide
destinée aux déportés, détenus de droit commun, prisonniers de
guerre des stalags et oflags ainsi qu’aux réfugiés de Wolyn (Volhynie)
et de Podole (Podolie) le RGO attribuait des fonds au bénéfice
de la sauvegarde de la culture nationale. C’est justement le RGO
qui aidait des musiciens, peintres, sculpteurs et artistes
graphiques varsoviens et cracoviennes.
La
situation matérielle des artistes et savants fut liée à leur
attitude vis à vis des occupants. La plupart perdirent leurs
moyens de subsistance assurés par la continuation de leur
activité. Cependant, un fort pourcentage parmi eux n’avait pas
abandonné le métier. Des groupements artistiques se créèrent en
temps de guerre, notamment Bacciarelowka à Varsovie et le Groupe
de Jeunes Artistes Plasticiens à Cracovie. Des collectionneurs
et des mécènes d’arts plastiques privés se faisaient connaître
par leurs commandes. Grâce à cette activité de mécénat, des
vernissages clandestins de même que des expositions avaient pu
se tenir à Cracovie, Varsovie, Lwow (Lemberg), Wilno (Vilnius),
Lublin, Radom, Sandomierz, Kielce, Zakopane, Nowy Sacz et
Bialystok. Les instances territoriales de l’État Polonais
Clandestin jouèrent un rôle important de mécénat dans le domaine
des arts plastiques. Des commandes émanaient du Bureau de
l’Information et de la Propagande (BIP) du Haut Commandement de
l’AK et des cellules de la Délégation du Gouvernement. Le
Département de la Culture et des Beaux-Arts mentionné plus haut,
patronnait non seulement l’action d’assistance mais il finançait
aussi les activités artistiques, accordait des bourses, passait
des commandes de tableaux et de sculptures. La Délégation du
Gouvernement soutenait également l’activité musicale. Grâce à
cela, malgré des contraintes et persécutions la vie musicale
polonaise ne cessa pas complètement. Assister à un concert
clandestin devint une forme de manifestation de la résistance.
Un rôle de mécène tenaient aussi des coopératives d’artistes
ex : à Cracovie et à Varsovie. Le même rôle tenaient des
magasins d’antiquité, salons des arts, des cafés ainsi que des
patronages et mécénats privés. Le milieu d’acteurs de théâtre
était secouru par le Conseil Théâtral Secret (Tajna Rada
Teatralna) qui distribuait des allocations aux acteurs qui
boycottaient les théâtres sous la tutelle de l’occupant. Les
représentations théâtrales clandestines se développaient aussi
avec soutien des mécènes privés. Des spectacles (récitations)
furent organisés dans des habitations privées, écoles, églises.
Karol Wojtyla jouait au Théâtre de Rhapsodie (Teatr Rapsodyczny)
clandestin à Cracovie.
Pendant
des périodes où l’existence - même de la nation était menacée,
les livres regagnaient de l’importance. Les occupants poussèrent
la littérature polonaise dans la clandestinité. Ils détruisaient
des bibliothèques, ex : la Bibliothèque de Sejm et Senat
(Bibliothèque de l’Assemblée Nationale et du Sénat), la
Bibliothèque privée de la Famille Przezdziecki, la Bibliothèque
privée de la Famille Zamoyski, la Bibliothèque Centrale
Militaire avec la collection de Rapperswil. Dans cette situation
une vraie guerre du livre fut déclarée. Un colportage clandestin
des éditions sauvegardées d’avant-guerre, fut mis en œuvre un
peu partout : à Varsovie, Cracovie, Lwow, Grodno, Wilno, Mielec,
Przeworsk, Rzeszow, Brzozow, Nowy Sacz. À l’instigation de
Stefan Kaminski, libraire et éditeur de Cracovie il fut possible
de sauver une quantité importante de livres pillés par les
Allemands en Grande Pologne, Poméranie du Nord et à Lwow.
Kaminski fut aussi le mécène qui prépara les contrats d’auteur
pour deux cents titres d’éditions scientifiques et de belles
lettres dont cent trente titres parurent après la guerre. Cette
forme de mécénat fut pratiquée fréquemment. Des contrats furent
conclus, des honoraires et acomptes versés. Stanislaw Arct de
Varsovie jouait le rôle d’un tel mécène « de librairie ».
également, les éditions Gebethner et Wolf organisaient
l’assistance aux écrivains ; des droits d’auteur furent versés à
Kornel Makuszynski, Juliusz Kaden-Bandrowski, Jan Marcin Szancer,
Zofia Nalkowska, à la famille de Leon Kruczkowski – prisonnier
dans un oflag. La même démarche fut pratique par « Ossolineum »
ainsi que par des maisons d’édition comme « Biblioteka Polska »
(Bibliothèque Polonaise), « Nasza Ksiegarnia » (Notre
Librairie), Trzaska-Evert-Michalski, dépôt de livres « Ksiaznica
Atlas » de Lwow, «Swiety Wojciech » (Saint Adalbert) de Poznan.
Un journaliste et auteur satirique, Zbigniew Mitzner avança des
à valoir pour cent cinquante œuvres. Il signa un contrat avec le
poète Krzysztof Kamil Baczynski.
Force
est de ne pas omettre de mentionner les activités d’assistance
et de mécénat menées en exil pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Elles ne s’adressaient pas uniquement aux communautés d’émigrés
polonais mais dans une large mesure étaient destinées aux
citoyens du pays occupé. Les autorités de la République de
Pologne, coordonnaient, en exil, l’action d’enregistrement et
d’établissement de preuves relatives à la destruction et au
pillage des œuvres d’art en Pologne occupée. Une part importante
de l’activité de mécénat en exil fut inspirée et dirigée par
Fundusz Kultury Narodowej (Fonds pour la Culture Nationale)
réactivé le 10 janvier 1940.
Le
mécénat du temps de guerre – clandestin dans le pays et en exil
– fut considéré comme une entreprise d’importance. Le poids et
la valeur de l’action de protection de la culture nationale
furent reconnus universellement. Bien qu’il fût impossible de
sauver la vie de nombreux artistes et savants de même qu’il fût
impossible de sauvegarder toutes les œuvres d’art, néanmoins, le
mécénat des structures de l’État Clandestin et des particuliers
fut pratiqué à une grande échelle, dans tous les domaines et
d’une manière efficace – une dimension inconnue nulle part
ailleurs dans l’Europe occupée. Le mécénat de l’État Polonais
Clandestin fut exempt de toute prédilection idéologique.
L’assistance portée aux « personnes de valeur » ne fut pas
motivée par des sympathies politiques. Elle fut la manifestation
d’une forme de résistance sociale et de défense de l’union
nationale déterminée par la mémoire, la culture et la tradition.
Dr
Grzegorz Ostasz
Traduit du polonais par : W.H. Bury